Aujourd’hui se tenait une nouvelle audience, (une de plus), pour Xavier
> Mathieu, le porte-parole des "Conti", syndicaliste CGT, qui était
> poursuivi pour avoir refusé de laisser prélever son ADN suite à la
> condamnation pour dégradation de biens dont lui et certains de ses
> camarades avaient fait l’objet suite a leur coup de colère dans un local
> préfectoral, en 2010.
>
> Lors de la première instance qui se tenait devant le Tribunal
> correctionnel de Compiègne, Xavier avait été relaxé par un jugement rendu
> en juin 2011, au motif que ces données étaient "inadéquates, inutiles,
> non-pertinentes et excessives" au regard des finalités pour lesquelles
> leur collecte était demandée, s’appuyant ainsi sur l’article 6 de la loi
> "informatique et libertés" de 1978.
>
> Le Parquet avait fait immédiatement appel de cette décision, ce qui
> explique que ce jour, 4 janvier 2012, Xavier Mathieu, son avocate Maître
> Marie-Laure Dufresne-Castets ( très connue du monde syndical pour ses
> prestations en droit du travail auprès de syndicats de Continental,
> Toyota, Renault, Moulinex, PSA, Servair, STEF-TFE..., cette avocate met
> également ses compétences et son éloquence à la disposition de plusieurs
> militants poursuivis au pénal) ainsi que les nombreux soutiens et témoins
> présents se retrouvaient devant le Palais de Justice d’Amiens, pour un
> rassemblement de soutien et de solidarité avant l’audience.
>
> Se trouvaient notamment à ce rassemblement de soutien nombreuses
> personnalités politiques ou syndicales, Marie-George Buffet (PCF), Eva
> Joly (EELV), Nathalie Arthaud (LO), Philippe Poutou (NPA), Jean-Luc
> Mélenchon (PG), Maxime Gremetz (Communiste), Christian Maheux (Sud Rail),
> Xavier Renou ( Désobéissants), Mickaël Wamen (CGT Goodyear Amiens),
> François Ruffin (Fakir, Là bas si j’y suis), Confédération Paysanne... et
> d’autres encore que nous ne pouvons pas tous citer.
>
> Des groupes de musique (HK et les Saltimbaques, la Rabia, Compagnie Jolie
> Môme) égayaient ce rassemblement de leurs prestations.
>
> A l’occasion de ce procès en appel, trois témoins sont venus apporter, qui
> leur expertise, qui leur avis éclairé, ou encore, relater leur expérience
> personnelle sur ce sujet du prélèvement et du fichage ADN.
>
> Catherine Bourgain, chargée de recherches en génétique humaine à l’INSERM
> a apporté un premier témoignage scientifique et technique, très
> pédagogique, pour expliquer pourquoi et comment ce type de prélèvement
> n’avait pas ce caractère "anodin" que certains s’évertuent à lui donner.
>
> Elle précisait qu’il n’était plus exact de parler de "segments d’ADN
> non-codants" (vocable qui date des débuts de la recherche sur l’ADN)
> depuis les progrès de la science sur ce sujet, insistant sur deux études
> publiées récemment qui démontrent que les segments d’ADN prélevés et
> analysés peuvent désormais donner des informations sur l’origine ethnique,
> les maladies etc... de la personne concernée. Elle insistait sur le fait
> que, contrairement à l’empreinte digitale (à laquelle il est fait
> référence par analogie dans le cas de l’ADN), du fait des progrès
> techniques et scientifiques, le supposé matériel "non-codant" n’était plus
> un "verrou" sûr quant à certaines caractéristiques de la personne.
>
> Charles Hoareau, militant syndical CGT de Marseille, directement arrivé
> des Bouches-du-Rhône pour témoigner au procès de Xavier, intervenait
> ensuite, en sa qualité de premier syndicaliste auquel il avait été demandé
> en 2004, par la police, de prélever son ADN.
>
> Il témoignait ainsi sur un des points centraux de la défense de M°
> Dufresne-Castets, celui de l’opportunité (et donc, du pouvoir
> discrétionnaire) pour le Parquet de demander, et le prélèvement d’ADN, et
> le fichage de l’analyse en résultant, puisqu’il expliqua à la Cour que
> dans son cas, il avait reçu un courrier du Procureur lui signifiant que
> finalement, on ne lui demanderait pas son ADN et que l’affaire
> s’arrêterait là.
>
> Enfin, Matthieu Bonduelle, magistrat, secrétaire général du Syndicat de la
> Magistrature, également présent ès qualité de témoin, apportait son point
> de vue de magistrat sur ce sujet.
>
> Après avoir rappelé que le Syndicat de la Magistrature avait notamment
> pour objet la défense des libertés et des principes démocratiques, mais
> également que, en vertu de l’article 66 de la Constitution de 1958, les
> magistrats étaient les gardiens de la liberté individuelle, il exposait
> les questions que tout magistrat appelé à juger d’un tel cas était en
> droit de se poser au regard de la loi, compte tenu des nombreuses dérives
> et du dévoiement de ce fichage. Il interrogeait l’intérêt social de
> l’élargissement de ce fichage en dehors des crimes sexuels, relevait
> l’incroyable durée de la conservation des données fichées (entre 25 et 40
> ans), rappelant que cette infraction était une infraction autonome et
> qu’en outre, le délit de refus de prélèvement ADN entraînait une "double
> peine" en privant les condamnés à une peine de prison de réduction de
> peine.
>
>
> Le Procureur Général entamait ensuite ses réquisitions.
>
> Il insistait notamment dans sa réponse sur la légalité du décret, sur
> l’absence, selon lui de pouvoir discrétionnaire, d’opportunité, du Parquet
> dans de tels dossiers, se réfugiant derrière une soi-disant "obligation"
> de sa part de demander et le prélèvement et le fichage (ce qui était
> vivement critiqué par la défense). Il tentait ensuite d’assimiler
> l’expertise génétique au fichage génétique, (alors que la nécessité de
> l’expertise génétique, au cas par cas, le cas échéant, n’était nullement
> contestée par la défense).
>
> Il rappelait enfin que, selon lui, il existait des "verrous juridiques"
> aux éventuelles manipulations ou fraudes des fichiers génétiques, "verrous
> juridiques" supposés écarter tout risque de "dérapage" (ce qui ne semblait
> pas convaincre les auditeurs présents dans la salle). Il disait également
> que la circonstance que le délit se soit tenu dans un cadre syndical
> était, selon lui, inopérant et que Xavier Mathieu était un "délinquant de
> droit commun".
>
> Il réfutait un quelconque acharnement contre Xavier Mathieu, et concluait
> en incitant la Cour à rejeter les arguments de la défense, à infirmer le
> jugement du Tribunal correctionnel et à entrer en voie de condamnation
> contre Xavier Mathieu, réclamant une peine allant de 1000 à 1500 euros
> d’amende.
>
> Maître Dufresne-Castets prenait alors la parole pour répondre point par
> point aux réquisitions du Procureur et pour développer son argumentation
> sur l’illégalité et sur le fond.
>
>
> Plaidant longuement mais sans longueurs, sans emphase inutile mais avec
> clarté et méthode, alternant gravité et ironie, maniant l’humour à
> l’occasion, avec la concentration d’un artisan expérimenté exécutant une
> pièce difficile sur son métier lorsqu’elle estimait devoir insister sur un
> point précis, elle développait alors plusieurs arguments, dont nous vous
> rapportons quelques bribes.
>
> S’adressant à la Cour en rappelant aux juges que, contrairement aux
> membres du Parquet (qui ne sont pas des magistrats, ainsi que vient de le
> rappeler la Cour Européenne des Droits de l’Homme), ils étaient eux, en
> effet, gardiens des libertés individuelles, et qu’ils n’étaient pas
> "l’automate" que M. le Procureur avait revendiqué être, elle développait
> d’abord plusieurs arguments techniques sur la légalité du décret.
>
> Elle insistait par exemple sur le fait que le Parquet, "véritable bras
> armé de l’exécutif", était à même de créer lui-même les conditions
> préalables du délit de refus de prélèvement qu’il poursuivrait ensuite.
>
> Prenant appui sur les témoignages, sur les textes, la jurisprudence et les
> nombreuses pièces qu’elle avait versées à son dossier, elle en venait
> ensuite au fond du dossier, interrogeant d’abord sur "l’incroyable retour
> en arrière" que ce type de politique pénale ("qui a bu boira") impliquait.
> Rappelant que toute personne condamnée avait le droit à se réinsérer et à
> ne pas être vu ad vitam comme un délinquant ou un criminel "potentiel".
> Rappelant que la récidive n’était d’ailleurs, selon les dernières
> statistiques du Ministère de la Justice, que de 2,5 %, et que le FNAEG
> échouait à prévenir la récidive et la réitération.
>
> Excipant d’un courrier du gouvernement français adressé à l’un des
> faucheurs OGM qui a formé un recours (actuellement pendant) devant la CEDH
> qui proposait au requérant une "indemnisation" pour mettre un terme à son
> recours, elle en concluait que le gouvernement lui-même devait bien sentir
> que par rapport aux normes internationales, la France n’était pas "à
> l’aise", ajoutant : "Et ce gouvernement a bien raison de ne pas avoir
> confiance dans la légalité de ses textes au regard des normes
> internationales !"
>
> Elle rappelait également le contexte ("et non les mobiles", précisait-elle
> à l’adresse du Procureur) de cette affaire, la lutte syndicale, la lutte
> collective, expliquant que Xavier Mathieu n’était pas un individu isolé,
> seul, mais le porte-parole d’une collectivité d’intérêts, celle de
> travailleurs en lutte pour leurs emplois, pour interpeller la Cour sur le
> principe de proportionnalité, fondamental en droit pénal.
>
> Elle concluait que ces poursuites étaient discriminatoires (arguant que,
> d’ailleurs, les délits "en col blanc", les délits financiers, étaient
> explicitement exclus de ceux pouvant donner lieu à prélèvement d’ADN), et
> que ce n’était pas Xavier Mathieu en tant qu’individu qui était poursuivi
> aujourd’hui mais bien "ce qu’il représentait, ce qu’il symbolisait, qui
> justifiait l’acharnement du gouvernement", évoquant le caractère politique
> de cette affaire. Elle demandait donc de confirmer la relaxe prononcée en
> première instance.
>
> C’est Xavier Mathieu qui prenait la parole en dernier.
>
> Visiblement amaigri, ému et plutôt affecté par tout ceci, (qu ’il nous a
> dit vivre comme un acharnement à son encontre), engagé et touchant, Xavier
> évoquait les thèmes suivants : Honneur. Dignité de l’homme. Parole donnée.
> Mémoire.
>
> Il rappelait les luttes des Conti. La lutte pour la sauvegarde de leurs
> emplois, pour leur dignité, pour leurs familles. Leurs difficultés. Leur
> solidarité. Il évoquait comment ce licenciement massif avait brisé de
> nombreuses vies dans des familles entières. L’alcool, la drogue, les
> antidépresseurs, les divorces, le suicide même, pour de nombreux ouvriers
> de "Conti" désormais... Rappelait que sur 1100 travailleurs seulement 200
> avaient à ce jour retrouvé un CDI. Il évoquait par exemple, comment, au
> moment de la conclusion du protocole de fin de conflit, toutes les
> poursuites de part et d’autres avaient été abandonnées sauf , de mauvaise
> foi, celle à leur encontre pour leur dérapage de colère à la
> sous-préfecture. Ou comment le gouvernement et la direction de Conti
> avaient man&oeliguvré pour prononcer son autorisation de licenciement, la seule
> prononcée sur tous les représentants du personnel et syndicaux de l’usine.
>
> "J’aurais aimé voir les dirigeants de Continental devant cette Cour. Le
> gouvernement l’avait pourtant promis, de poursuivre et punir ces patrons
> voyous...."
>
> Il rappelait ensuite 39-45. Les fichages de Vichy. Fichages des juifs, des
> homosexuels, des tziganes, des communistes..."On sait comment ça s’est
> terminé ,tout ça. Comment peut-on oublier ça quand on parle de fichage
> génétique aujourd’hui ?".
>
> Il insistait sur le fait que l’utilité sociale et pénale de tels fichages
> était elle-même très critiquable puisque lui-même n’avait pas été condamné
> pour l’affaire de la sous-préfecture sur la base d’analyses d’ADN mais sur
> la seule foi d’un reportage TV, et qu’un fichage ADN, s’il aurait permis
> de démontrer qu’il était bien sur les lieux alors, (ce qu’il n’a jamais
> caché ni nié), ne pouvait en aucun cas prouver la détérioration des biens
> donc, l’infraction !
>
> Il rappelait enfin que son ADN, il le tenait de ses parents, qui s’étaient
> aimés. Parlant de sa petite-fille, née récemment, de ses grands-parents,
> de tous ces gens qui sont ses ancêtres, qui, à moment ou à un autre,
> avaient fabriqué et transmis cet ADN sur des générations, concluant
> "Monsieur le Président, jamais je ne donnerai mon ADN autrement que par
> amour".
>
> Le délibéré de cette affaire a été fixé au 3 février prochain.
>
> (Amiens)
> Collectif Bellaciao
>
> Article sur Bellaciao (avec photos et videos) :